Les tiques sont responsables de la transmission de la maladie de Lyme.
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Source Science Avenir 3 juillet 2018

Maladie de Lyme : pourquoi les tests ne sont pas fiables

Les tests de dépistage sont au cœur de la polémique actuelle sur la maladie de Lyme. Nous avons interrogé Hugues Gascan, immunologue, directeur de recherche au CNRS, pour comprendre pourquoi ces tests ne sont pas fiables. Selon une publication récente, ils produiraient même 500 fois plus de faux négatifs (personnes malades non détectées) que le tests de dépistage du VIH.

ELISA. La sortie du Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) de la maladie de Lyme, rebaptisé  » Recommendations de bonnes pratiques « , loin d’apaiser les esprits, ne fait qu’accroître les mécontentements. Au centre de la discorde se trouvent encore et toujours les fameux tests sérologiques de dépistage dits Elisa et Western Blot. Pour certains, ils sont jugés parfaitement fiables, pour d’autres, il faudrait tout simplement les supprimer tant ils sont dépassés. Pour rappel, dans le PNDS, ces tests sont toujours prescrits en première intention pour dépister la maladie. “Il est d’ailleurs rappelé dans l’annexe 3 du texte, qu’ils sont fiables quasiment à 100% dans certaines situations où ils doivent être utilisés. Or, nous considérons que ces données sont largement erronées” explique Hugues Gascan*, immunologue, directeur de recherche au CNRS, ayant participé à la rédaction du PNDS.

Ces tests sérologiques se font en deux temps : d’abord l’Elisa qui, s’il est positif, doit être confirmé par le Western Blot. Si ce dernier est aussi positif, alors le patient est considéré comme atteint de la maladie de Lyme. La polémique tient au fait que de nombreux malades ont des tests négatifs alors qu’ils se plaignent de symptômes qui pourraient rentrer dans le tableau clinique de la maladie de Lyme. D’où les suspicions sur leur fiabilité.

Mais les doutes ne se cantonnent pas aux témoignages des malades. Une méta-analyse menée à l’Imperial College London, parue en 2016 dans la revue International Journal of General Medicine, révèle que la sensibilité de ces tests n’excède pas en moyenne les 60%. Ainsi, 40% des personnes malades ne seraient pas détectées.

Au-delà de cette étude, c’est la méthodologie même du dépistage qui pourrait poser problème dans le cas de la maladie de Lyme. Et en particulier, celle concernant le test Elisa. Les failles sont de trois ordres :

1/ Des calibrages imprécis

Pour bien comprendre l’objet du débat, il faut revenir sur le principe de cet examen.

L’idée du test Elisa est de vérifier si le patient est ou a été infecté par une Borrelia, bactérie responsable de la maladie de Lyme. Cette vérification est indirecte. C’est-à-dire que l’on ne va pas chercher à détecter la bactérie chez le patient, mais plutôt les anticorps produits par son système immunitaire et dirigés spécifiquement contre les antigènes de la bactérie. Les antigènes sont ces protéines du pathogène reconnues spécifiquement par le système immunitaire. Cette réaction anticorps-antigène est l’un des fondements de l’immunité. Les anticorps, fabriqués par les lymphocytes B (cellules du système immunitaire), se lient naturellement avec les antigènes. C’est cette réaction qu’exploite le test Elisa.

Ces tests sont commercialisés par de nombreux fabricants. Ils se présentent sous la forme d’une plaque présentant un certain nombre de micro-puits (souvent 96), au fond desquels se trouvent fixés des antigènes de Borrelia. Le laboratoire d’analyse médicale qui effectue le test va alors remplir ces puits avec le sérum des patients. Le sérum est en fait le sang débarrassé de ses éléments cellulaires (globules rouges, globules blancs, plaquettes) et des enzymes favorisant sa coagulation. Il comporte tout un tas de composés chimiques comme des sucres, des lipides et bien sûr des protéines. C’est parmi ces dernières que se trouvent les anticorps produits par le système immunitaire contre Borrelia, mais aussi contre toutes autres sortes de pathogènes auquel la personne a été exposée au cours de sa vie.

Une fois le sérum placé dans les puits, seuls les anticorps dirigés contre Borrelia vont se fixer aux antigènes qui se trouvent au fond du puits. Ainsi toutes les autres molécules et notamment les anticorps dirigés contre d’autres pathogènes peuvent être éliminés par un simple lavage. Ne reste alors dans les puits, que les anticorps spécifiques de Borrelia que l’on cherche à détecter.

Il faut maintenant mesurer la quantité de ces anticorps pour déterminer si le patient est bien infecté par la bactérie. Cette étape repose sur la mesure de la densité optique, c’est-à-dire sur l’intensité de la couleur de la solution qui se trouve dans chaque puits. Pour cela, l’opérateur du laboratoire ajoute un produit qui change de couleur si l’anticorps est fixé sur l’antigène. Ainsi, dans chaque puits, plus il y a d’anticorps fixés aux antigènes de la bactérie, plus la couleur sera intense et plus la densité optique sera élevée.

La densité optique est donc le reflet de la réponse immunitaire de la personne contre la bactérie. Mais pour affirmer si oui ou non, la personne est “séropositive”, il faut étalonner le test Elisa afin de déterminer à partir de quelle densité optique le patient est considéré comme séropositif.

C’est dans la définition de ce seuil que les problèmes commencent. Pour réaliser ce calibrage, il faut partir d’un sérum d’une personne malade, donc que l’on sait déjà positif. Celui-ci est fourni par chaque fabricant de test afin qu’il puisse être comparé aux densités optiques mesurées pour chaque patient. Sur les plaques on trouve donc une série de puits réservés au sérum étalon pur (celui que l’on sait positif) qui est dilué plusieurs fois afin d’obtenir une gamme de couleurs de moins en moins intenses, avec les densités optiques correspondantes. La densité optique de l’échantillon de chaque patient est alors comparée aux densités optiques de cette gamme étalon.

Il faut enfin établir la densité optique seuil à partir de laquelle le patient est considéré comme malade. « Ce seuil a été défini dans les années 2000 de façon statistique par l’Action Concertée Européenne sur la Borréliose de Lyme (EUCALB), consortium européen de recherche sur la maladie de Lyme, créé dans les années 1990. Autre élément surprenant, ce seuil doit être défini dans la région dans laquelle le test est réalisé. Or, l’on sait qu’il y a une forte variation géographique. Par exemple, il y a beaucoup plus de cas de Lyme en Alsace et en Limousin qu’en région PACA. Cet étalonnage n’est donc pas standard. Il varie d’une région à l’autre et d’un fabricant à l’autre », explique Hugues Gascan. En d’autres termes, les seuils ne sont pas les mêmes dans toute la France. Une même personne peut alors être positive à Montpellier et négative à Paris.

“Une méta-analyse récente réalisée par Michael Cook et Basant Puri montre que les tests sérologiques pour la maladie de Lyme génèrent 500 fois plus de faux négatifs que les tests pour le SIDA. Imaginez un test de dépistage du VIH aussi peu robuste que ceux utilisés pour le Lyme. Cela ferait un scandale”, commente Hugues Gascan.

Pour bien faire les choses, il faudrait faire un étalonnage avec des valeurs pondérales c’est à dire en dosant précisément la quantité d’anticorps présente dans le sérum du patient. Le résultat serait alors indiqué par une valeur quantitative (par exemple en microgramme par millilitre) comme c’est le cas pour la plupart des mesures faites lors d’analyses sanguines. “Ce calibrage standard permettrait d’avoir des résultats comparables quelle que soit la région dans laquelle est pratiqué le test, et quel que soit le fabricant”, assure le chercheur.

2/ La diversité des bactéries détectées dans les tests

Chaque année ou presque une nouvelle Borrelia apparait parmi les agents impliqués dans la maladie de Lyme. Ainsi, en 2016 aux Etats-Unis, les Centers for Disease Control and Prevention et la Mayo Clinic de Rochester ont découvert une nouvelle bactérie baptisée Borrelia mayonii et impliquée dans la maladie. Or, ces nouvelles bactéries ne sont pas dépistées par les tests actuellement disponibles sur le marché.

3/ Une sérologie qui varie dans le temps

Comme nous l’avons vu, le dépistage de la maladie de Lyme repose sur la détection des anticorps dirigés contre la bactérie. Or, cette concentration d’anticorps peut varier fortement dans le temps chez une même personne. Ainsi, selon le moment où le test est effectué, le test peut être positif ou négatif. Une étude sur la souris publiée en 2015 dans PLOS et dirigée par Nicole Baumgarth de l’université californienne de Davis, montre que la bactérie s’attaque aux lymphocytes B. Ces cellules du système immunitaire sont celles qui justement produisent les anticorps que l’on cherche à détecter lors des tests Elisa. Cette action de la bactérie sur les lymphocytes pourrait en partie expliquer le faible taux d’anticorps dans le sang de personnes malades et donc un test négatif. Ces résultats sont en plus confortés par une étude génomique menée par Jérome Bouquet de l’université californienne de San Francisco qui montre chez l’homme une mauvaise réponse des lymphocytes face à la bactérie Borrelia. Ainsi, étant donné les effets modulateurs de Borrelia sur la réponse immunitaire, est-il pertinent d’utiliser un test Elisa, fondé justement sur l’analyse de cette réponse immunitaire, pour dépister la maladie de Lyme ?

*Hugues Gascan, directeur de recherche CNRS, ancien directeur d’Unité Inserm et de la plate-forme PADAM (Production Automatisée D’Anticorps Monoclonaux) – Rennes, Angers. En tant que membre de la Fédération Françaises contre les Maladies Vectorielles à Tiques, il a participé à l’élaboration du PNDS.

Par Olivier Hertel

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/maladie-de-lyme-pourquoi-les-tests-ne-sont-pas-fiables_125559